Le poete et l'inspiration - by Francis Jammes.pdf

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The Project Gutenberg EBook of Le poète et l'inspiration, by Francis Jammes
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Title: Le poète et l'inspiration
Orné et gravé par Armand Coussens
Author: Francis Jammes
Illustrator: Armand Coussens
Release Date: July 27, 2009 [EBook #29523]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE POÈTE ET L'INSPIRATION ***
Produced by Ruth Hart
FRANCIS JAMMES
LE POÈTE ET L'INSPIRATION
ORNÉ ET GRAVÉ PAR ARMAND COUSSENS
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GOMÈS, ÉDITEUR, RUE RÉGALE
NIMES.
Le poète est ce pèlerin que Dieu envoie sur la terre pour qu'il y découvre des vestiges du
Paradis perdu et du Ciel retrouvé.
Le poète est ce pauvre assis à midi sur le perron du vieux jardin où le premier homme et la
première femme furent si beaux. Il tient dans sa main sa sébile, et, son chien à ses pieds, il
demande aux passants distraits, et à Dieu même, l'aumône de la beauté qui fut, qui est et qui
sera.
Mais les passants ne daignent point jeter les yeux sur lui, ils ne voient pas la douleur de ce
regard. La seule créature qui ait compassion en silence est le chien immobile. . . . . Mais Dieu
laisse choir dans la sébile du pauvre poète l'azur du ciel tout entier.
O Fra Angelico! tu te saisis alors de cet azur, tu l'exprimes sur ta toile tel qu'il t'est donné de
l'apercevoir en cette heure inspirée qui rejoint l'extase.
Et vous, mes frères, recevant aussi la faveur de ce ciel qui est tout entier à chacun, dans votre
main tendue, vous en tissez votre tente, vous vous en enveloppez comme les vierges et
comme les collines.
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Et, tant est pure cette lueur divine que vous revêtez, qu'elle vous cache aux yeux des profanes.
Ainsi la campanule d'Août, si blanche à force d'être bleue, semble s'évanouir.
Et le poète naît, passe et meurt comme la fleur des champs qu'à peine on remarque.
Le poète est celui qui observe, à travers la haute grille du parc, les couples fondus au bleu de
la nuit, et qui entend la grêle invitation des mandolines. Il n'est pas convié à la fête; mais le
volubilis blanc des ténèbres franchit la grille, se penche vers lui qui seul en découvre tout le
miel et toute la chaude neige. Et, tandis que les rumeurs amoureuses des belles couvrent le
chant du rossignol, ce chant n'est perceptible qu'au poète dont le cœur s'emplit de la divine
harmonie comme une source d'eau pure qui répond au chant de l'oiseau. Et j'entends Saint
Jean de la Croix qui loue:
La nuit paisible,
La musique silencieuse,
La solitude harmonieuse,
Le souper qui charme et qui accroît l'amour,
Le bouquet de rosés en forme de pomme de pin. . .
. . . . L'aspiration du zéphyr,
Le chant de la douce Philomèle,
Le bois avec ses charmes durant la nuit sereine,
Avec la flamme qui consume et ne cause pas la douleur.
Le poète est celui qui n'ayant rien reçoit tout, qui renonce à sa coupe grossière pour boire à
même le reflet frais du ciel, l'étudiant que chantait, il y a bien des siècles, dans un poème
ineffable, Tchu-Kouang-hi:
Quand le soleil couchant cesse d'éclairer la fenêtre du nord-ouest
Alors que le vent d'automne dépouille en sifflant les bambous
L'étudiant s'approche de la fenêtre méridionale,
Car ses yeux ne quittent guère son livre, et toujours il est attentif.
Il songe a l'antiquité, en voyant la mousse et les grandes herbes;
Il regarde, il écoute, il jouit profondément de son calme et de sa solitude;
Peut-être demanderez-vous ce qu'il fait pour se procurer du moins sa subsistance:
Il coupe du blé demi-sauvage dans les terrains abandonnés.
Le poète est celui qui, dans la besogne fastidieuse et terre à terre du comptable, dans la
lassitude et l'amertume, dans la monotonie de la poussière bureaucratique, sous l'aiguillon
d'un patron acerbe, découvre le profil lumineux d'une petite fille de cinq ans, et, sur la table de
servitude, un morceau de pain pour l'enfant.
Le poète est celui qui, en le frappant de son bâton, fait jaillir du roc, dans le village altéré,
l'eau qui s'avance à pleins bords dans l'épais herbage. Et les usines naissent avec leurs tulipes
de feu, des maisons ouvrières s'élèvent avec de gais jardins et des rumeurs d'enfants—parce
que le génie du poète a découvert cette veine de cristal joyeux.
Cependant lui seul est seul, lui seul est pauvre, lui seul est magnifiquement dépouillé comme
cette eau nue où se réfléchissent les cieux.
Le poète est celui qui, l'oreille pleine du silence que l'on fait autour de lui, ou du bruit de
l'insulte, entend monter de son cœur, comme d'un temple, le chant des séraphins et la voix de
la sagesse.
Le poète est celui qui, n'ayant point pressé entre ses bras l'épouse victorieuse et belle, se saisit
de l'argile dont nous sommes pétris et sculpte la beauté.
Le poète est le jeune homme que je vis un jour à Anvers, il y a vingt-cinq ans, tout enveloppé
d'obscurité, dans une mansarde, une telle obscurité que son père me dit: les bourgeois de la
cité ont oublié qu'il existe. Il ne me dit point un seul mot quand il me vit entrer. Il profitait de
cette nuit profonde pour découvrir, à l'extrémité de l'abîme, une étoile sans nom.
Le poète est celui qui se penchant vers l'enfant qui s'agite sur sa couche, fixe, d'un regard
charitable, la mère angoissée. Et il fait ruisseler sur le malade cette fraîche vertu des eaux,
qu'il a découverte, ou il lui donne d'une écorce salutaire recueillie dans la forêt tropicale où
Dieu sourit parmi les lianes flamboyantes. Et la température tombe doucement au crépuscule.
Le poète est celui qui va sur la mer. Il saute dans l'esquif que le long flot balance. Et le
brouillard recouvre le port où sa femme et ses enfants l'attendent sans jamais le voir revenir.
Mais il fallait qu'il partît, qu'il fût partagé comme entre deux montagnes par ces deux
sentiments contraires et sublimes: la tendresse de l'obscur foyer et l'âpre recherche de cette
nourriture que prennent les filets sur la plaine liquide et sans froment.
Le poète est celui qui va dans la forêt. Tantôt, comme dans la chanson du vieux marin, il y
rencontre l'ermite et la noce joyeuse et il se réjouit des flûtes, des oiseaux, du bond pourpré
des écureuils, des tapis de fleurs et de mousse et des détails inépuisables comme la science
des nids. Et tantôt le bois n'est qu'une croix nue.
Le poète est celui qui, dans sa main, prend un grain de blé pareil à un gravier commun. Et il y
voit la forme réduite du pain que l'enfant de l'ouvrier rapporte sous son bras, et la moisson
avec les bluets, les coquelicots et les cris d'insectes, et l'église, et le prêtre qui monte à l'autel,
et le voyageur mystérieux qui, dans le soir d'Emmaüs, mêle la lueur de son front à la lueur de
l'Hostie.
Le poète c'est l'homme à qui Dieu restitue la splendeur.
Et, d'abord, je vois Noé chantant sous l'arc-en-ciel définitif le cantique du pacte de la
délivrance. Et puis il se promène dans sa vigne bien soignée. Et chaque grain mûr de sa treille
lui apparaît comme un œil transparent, tout plein de soleil blond ou brun fixé sur le Seigneur.
Et ensuite je vois Abraham sous les chênes de Membre. Sa tente est une meule d'or toute
crépitante d'épis et, dans la splendeur accablante, ne sachant pas que faire pour son Dieu qui
lui apparaît et qu'il adore, il lui donne du pain à manger.
Puis, exaltant, si je peux dire, la gloire de la moisson caniculaire, s'y plongeant avec majesté,
le vieux Booz voit Ruth surgir à l'horizon des orges. Et il laisse la glaneuse goûter à l'eau
vinaigrée des faucheurs. Et désormais les obscurs tâcherons, trempant leur pain dans ce
pauvre breuvage, y pourront goûter la saveur divine que la Moabite y a laissée, parce que
l'amour du patriarche s'accumulait dans le ciel pour elle et s'avançait comme un doux orage
qui gronde.
Bénis soyez-vous, hommes qui dans vos cœurs ensemencés par une inspiration divine,
fertilisés par elle, découvrez les terres promises et leur faune et leur flore et leurs pierres, et
les pénétrez de ces mêmes rayons qui rendent la montagne transparente et font vibrer des
aigrettes sur le front de Moïse!
Eh quoi? vont me dire quelques-uns, n'allez-vous point bientôt assimiler aux saints et aux
grâces qu'ils reçoivent ces hommes, plutôt méprisables, qui, les cheveux couronnés de
narcisses, la flûte aux lèvres, se plaisent à instruire les sansonnets? . . . . . Ces hommes encore
à qui les siècles prêtent tant de folies, comme d'immoler un bouc sous des rosés?
Assimiler aux saints les poètes en général, Dieu m'en garde! Et quelque admiration que je
professe pour Verlaine, je ne me hasarderai pas à le mettre en face de Saint-Jean de la Croix.
Et pourtant! Verlaine a écrit Sagesse , que François d'Assise eût signé. Et je demeure confondu
devant cet abîme de pureté, dont les parois portent des lys et se voilent de nuages d'encens,
lorsque je sais qu'en même temps il écrivait ce livre, Parallèlement , où les vices les plus rares
et les chairs les plus lourdes se donnent rendez-vous.
Que conclure avec logique, sinon, avec un poète de nos jours, que le monde est entraîné dans
une danse que conduisent et rythment sur leurs violes les deux races d'anges: les bons et les
mauvais?
Et, ne puis-je situer dans cette sorte de pénombre musicale et spirituelle, où le mal et le bien
se combattent, où l'homme tantôt entend les accords séraphiques, tantôt enregistre les voix
spécieuses des démons, des poètes tels que Verlaine, Rimbaud, Charles Baudelaire et tant
d'autres?
Ils vivent leur poésie, à la manière, hélas! dont trop souvent, le chrétien même conduit son
existence: Il s'approche du marécage à midi quand le nénuphar blanc semble l'inviter le plus à
le cueillir. Il ne fait, tout d'abord, que d'admirer cette neige, mais, bientôt hélas! il la souille en
y portant la main. Et il pleure, repentant de voir cette fleur, naguère immaculée, ternie
maintenant, livrée aux mains des démons dont toute la joie réside dans le salissement de ce
qui est vierge et dans la rupture de l'harmonie. . . . .
Mais, sans doute, ceux-ci ont-ils trop compté sur la faiblesse du poète disgracié. Peu de vrais
poètes, aucun vrai poète ne pèche contre l'esprit. Et c'est alors que, au souffle mélodique et
pur des bons anges, dans un sursaut inattendu, le poète se ranimant, se vivifiant, arrache aux
mains des maudits la fleur, et se plonge avec elle dans la source candide où la Vierge lave et
absout.
Un jour cette difficile question me fut posée:
—Quelle place occupe donc le poète dans les états contemplatifs.
Je réponds simplement:
—Le poète occupe, dans la mystique, selon le bien qu'il fait aux âmes, la place d'un mortel
quelconque—mais, en fait, il a ce privilège d'entendre, mieux qu'un mortel ordinaire, les voix
qui nous découvrent le Ciel.
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