ARCHEOLOGIA JUGOSLOVICA V_text.pdf

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Les masques funéraires de la nécropole archaïque
de Trebeniste
VLADISLAV POPOVIC
Le problème des masques d'or trouvés
dans les tombes de la nécropole archaïque
de Trebeniste—Gorenci 1 , près du Lac d'Oh-
rid, est sans aucun doute, l'un des plus pas-
sionants de l'archéologie balkanique. L'ap-
parition de coutumes funéraires du type
mycénien dans une région habitée à l'épo-
que archaïque par des Illyriens (Dassarè-
tes), avait suscité, non sans raison, de nom-
breuses discussions et controverses. Toute-
fois, en dépit des explications diverses four-
nies par les érudits, le problème des mas-
ques funéraires reste toujours sujet à dis-
cussion. C'est pourquoi nous nous sommes
proposés d'aborder, ici, cette énigme arché-
ologique sous tous ses aspects 2 .
La position géographique exceptionnel-
lement favorable de Trebeniste, ainsi que
les riches gisements argentifères plus ou
moins proches de la nécropole, sont suscep-
tibles d'expliquer l'affluence considérable
des importations grecques. En effet, la nécro-
pole se trouve à proximité de la future Via
Egnatia, ancienne route qui menait de Brin-
disi à Constantinople, en traversant l'Adri-
atique, l'Albanie et les régions d'Ohrid
(Lychnidos), de Salonique et à'Amphipolis".
Celui qui contrôlait l'étroit passage situé
près de la nécropole de Trebenište — Go-
renci, était aussi maître du commerce tran-
sitoire 4 . On est en droit de supposer que
ces princes barbares taxaient les marchands
grecs de lourds impôts, payés sous forme
d'objets de luxe. Bien que les données ar-
chéologiques ayant trait à l'exploitation des
mines d'argent dans cette partie de la Macé-
doine fussent restreintes, son importance
historique et économique ne doit pas être
sous-estimée. Des traces d'exploitation ont
été constatées à plusieurs reprises. On note-
ra, par ailleurs, que des autorités en la ma-
tière situaient les fameuses mines de Damas-
tion soit au nord du lac 5 , soit dans les par-
ties ouest de la Macédoine 6 . Tout en com-
mentant les textes de Strabon, VIII, 6, 16
et du Palimpseste Vatic. 2306, où il est men-
tion de réfugiés parvenant à Damastion de
Chalcidique, A. Meyer met en valeur l'impor-
tance à'Olynthos et de Potidea et de ce fait
même explique la parenté étroite des mon-
naies A'Olynthos et de Damastion 6a . Les fa-
meuses mines d'argent devaient donc se
trouver dans une région facilement acces-
sible de la Chalcidique, vraisemblablement
en Macédoine occidentale.
L'archéologue français E. Will met
en rapport la fondation des colonies
grecques du littoral albanais, Epidamnos
— Dyrrachion et Apollonia, avec la »route
de l'argent« 7 L'importance économique
de ces colonies corinthiennes et cor-
cyréennes était de tout premier ordre. Par
conséquent, l'antagonisme que mettait aux
prises Corinthe et Corcyre, s'expliquerait
par des raisons suffisemment apparentes 8 .
Les marchands grecs, surtout corinthiens;
devaient suivre la voie dans les deux sens®.
La pénération corinthienne dans la région
de Lyncestis se voit confirmée, à haute épo-
que, par les imitations de céramiques pro-
to-corinthiennes, trouvées dans une nécro-
pole des environs de Bitolj 10 . On se souvien-
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VLADISLAV POPOVIĆ
dra, également, de la dynastie des Bacchia-
des en Lyncéstide 11 .
Les opinions émises sur l'origine des ob-
jets grecs-archaïques de la nécropole de Tre-
benište, et tout particulièrement des vases
de bronze, varient sensiblement. La thèse
corinthienne, proposée par B. Filov 12 , fut
admise par des maîtres, tels que Ch. Picard 1 3
et G. H. Payne 1 4 En effet, les vases de bronze
de bonne qualité sont indiscutablement
exécutés dans le style corinthien. On ajou-
tera, à l'appui de cette thèse, la position
géographique favorable des colonies corin-
thiennes du littoral adriatique, étroitement
liées à l'Hinterland. On n'oubliera pas, non
plus, la haute réputation dont les ateliers
toreutiques de Corinthe, Sicyone et Argos
jouissaient dans l'Antiquité. Observées sous
cet angle, les hypothèses considérant la plu-
part des vases de bronze de Trebenište com-
me des importations italiotes, laconiennes
ou ioniennes 15 , seraient peu fondées.
Au centre du problème se trouvent les
cratères à Gorgones du type de Trebenište
et de Vix — Munich, évoquant, par leurs
dimensions et par leur décor, les cratères
géants décrits par Hérodote (Hist., I, 25 et
I, 40) 16 . Deux archéologues français, G. Val-
let et F. Villard, se sont tout récemment ef-
forcés de prouver l'origine chalcidienne
(Chalcis ou plus probablement l'une de ses
colonies en Italie méridionale) du cratère
de Vix et des produits similaires 17 . La théo-
rie ingénieuse des deux auteurs semble au
premier abord convaincante. Nul ne saurait
nier la disparition de la céramique corin-
thienne après la chute de la Tyrannie, vers
570/550. Les vases chalcidiens sont les seuls
à reproduire, dans la seconde moitié du Vie
siècle, les formes et les éléments décoratifs
de la poterie corinthienne. Toutefois, il s'a-
git-là, plutôt de la fin d'une production cé-
ramique, remplacée sur le marché par des
vases provenant d'ateliers attiques, que de
la disparition du commerce des bronzes 18 .
P. Devambez a souligné de son côté que la
perte du monopole des vases ne signifiait
nullement, pour Corinthe, la perte de celui
des bronzes 19 . Les copies céramiques exécu-
tées dans un style particulier, ne sont pas
susceptibles de fixer le lieu d'origine des mo-
dèles de bronze 20 . Par ailleurs, les sources
historiques nous informent sur la renomée
dont l'airin de Corinthe jouissait encore à
l'époque romaine 21 .
L'ensemble de ces données d'ordre géo-
graphique, économique et typologique, n'ex-
clut pas, mais renforce au contraire la thè-
se considérant le style des objets importés
à Trebenište comme l'une des preuves essen-
tielles de l'activité et de la primauté des
officines de bronziers corinthiens après la
chute de la Tyrannie. Les divergences styli-
stiques des cratères à Gorgones, découverts
en des endroits géographiquement éloignés,
nous mènent à des solutions différentes du
problème. Une officine, la plus brillante,
avait pu influencer les autres, notent G. Val-
let et F. Villard 22 . Les Gorgones des cratères
de Trebenište ne sont, peut-être, que des
adaptations maladroites des Gorgones à vi-
sages carrés du groupe Vix-Munich 32 . De mê-
me, les potiers chalcidiens, d'Eubée ou d'Ita-
lie, avaient pu choisir les modèles de bronze
de bonne qualité, qu'ils fussent fabriqués
dans leurs officines ou dans un autre centre
grec, Corinthe par exemple. Quoi qu'il en
fût, il ne faut pas exclure la possibilité d'une
origine corinthienne du cratère géant de
Vix 24 .
L'analyse du diadème en or massif de
Vix est susceptible de fournir des preuves
complémentaires en faveur d'une telle solu-
tion. Contrairement à l'opinion de R. Jof-
froy 25 , le diadème de Vix ne présente pas
de parenté étroite avec l'orfèvrerie gréco-
-scythe. On se tournera plutôt vers la Macé-
doine, dont les objets de parure offrent des
similitudes qui ne sauraient être ignorées.
Les extrémités du diadème sont décorées au
filigrane 26 , technique peu répendue en Grèce
archaïque, qui préfère le granulé. Or, nous
retrouvons ce procédé employé sur les ban-
des-bracelets du Lot de Chalcidique, faisant
aujourd'hui partie de la Collection. H. Stat-
hatos (Fig. 1), et sur celles de Narce en
Etrurie 27 . Quant à leur date, les bandes de
Narce appartiennent au Vile siècle, tandis
que celles de Chalcidique ne pourraient re-
monter, en aucun cas, plus haut que le' rni-
LES MASQUES FUNÉRAIRES DE LA NÉCROPOLE ARCHAÏQUE DE TREBENIŠTE
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lieu du Vie siècle. En plus de leur synchro-
nisme et de leur parenté technique, le dia-
dème de Vix et les bijoux macédoniens of-
frent d'autres points de comparaisons. Les
boules massives placées aux extrémités du
diadème sont, en fait, ainsi que Ch. Picard
l'a démontré, des pavots somnifères (papa-
ver somniferus) stylisés 28 . Symbole cultuel
remontant en Egée à l'époque pré-helléni-
que, le pavot restera, en Macédoine et no-
tamment à Trebeniste, l'un des ornements
préférés des bijoux funéraires (épingles et
fibules) 28 3 (Fig. 6). Si l'on situe le lieu de
production des bijoux macédoniens dans une
ou plusieurs colonies grecques du littoral
nord-égéen, ce qui semble probable en rai-
son du caractère composite des produits, on
sera forcé de reconnaître que l'assemblage
analogue d'objets de provenance différante
— cratères à Gorgones et bijoux, constaté
à Vix et en Macédoine, a été vraisemblable-
ment effectué, dans les deux cas, dans une
et même région géographique.
Tout en mettant en valeur le commerce
des bronzes que Corinthe et ses colonies
poursuivaient dans la seconde moitié du Vie
siècle, nous estimons qu'il serait injustifié
de rejetter a priori la possibilité d'une ori-
gine chalcidienne du cratère de Vix. Bien
que croyant à l'origine laconienne du cratè-
re, R. Joffroy n'exclut pas tout à fait la pos-
sibilité chalcidienne 29 . Les bijoux d'or da-
tant de la fin du Vie ou du début du Ve
siècle, trouvés en Eubée, témoignent des
rapports étroits que l'île égéenne devait
entretenir, à l'époque archaïque, avec les co-
lonies de la côte macédonienne 30 . Les élé
ments du style chalcidien, notamment la
Gorgone au visage carré, ne sont pas entiè-
rement inconnus à Trebeniste 31 . Il s'agirait,
peut-être, dans certains cas, de marchandi-
ses chalcidiennes parvenant à l'intérieur
macédonien par les cités grecques de la
Chalcidique 32 . Du même coup, l'Eubée s'a-
vère comme l'un des endroits possibles où
l'assemblage du trésor de Vix avait pu avoir
lieu. Les colonies chalcidiennes de la Gran-
de Grèce semblent moins probables. Influ-
encés par les ateliers de Corinthe, les bron-
ziers avaient pu, parallèlement, continuer
l'ancienne tradition corinthienne, tout en
créant un style qui leur est propre et dont
témoignent les nombreuses copies cérami-
ques. Tandis qu'à Trebenište nous verrions
plutôt des importations corinthiennes, le
cratère de Vix, vu sous cette lumière, nous
offre deux solutions (Corinthe ou Chalcis),
aussi probable l'une que l'autre.
Les gobelets et les rhytons d'argent re-
présentent un autre groupe important d'ob-
jets grecs importés à Trebeniste 33 . Leurs
analogies se trouvent, pour la plupart, par-
mi les produtis toreutiques ioniens et ori-
entaux, dont les plus proches sont les gobe-
lets de Dalboki en Thrace 34 . L'ornement à
palmettes et lotus des gobelets de Dalboki
est typique pour l'art ionien du Vie—Ve si-
ècle 35 . Il en est de même des feuilles de pom-
me de pin décorant les gobelets et les rhy-
tons de Trebenište et de Dalboki, caractéri-
stiques pour l'art ionien et perse 36 . L'orne-
ment archaïque combiné de palmettes et de
lotus se retrouve également sur la panse de
la célèbre amphore d'argent de Kukuva Mo-
gila en Thrace 37 , ainsi que sur le rhyton
gréco-perse de la tombe des Sept Frères en
Russie méridionale 38 . L'amphore de Kukuva
Mogila est munie d'anses en forme de lions
ailés et cornus, dénotant, en même temps
que la stylisation des muscles, les influence
de l'art perse et assyrien 39 . Les prototypes
achéménides de l'amphore ont été reconnus
depuis longtemps 40 . Le lion, avec ou sans
ailes, est en Orient l'animal solaire par excel-
lence 41 . Etrangère à la Grèce continentale,
la symbolique solaire, introduite d'Asie, sera
dans une certaine mesure acceptée par les
Grecs d'Orient 42 . Tandis que B. Filov voyait
dans l'amphore de Kukuva Mogila une oeu-
vre ionienne, peut-être de Cyzique 43 , P.
Amandry l'a tout dernièrement assigné à la
toreutique perse d'époque achéménide 44 . Il
ne faut pas, toutefois, perdre de vue qu'une
forte influence de l'art perse s'était fait sen-
tir en Ionie archaïque. Tout en subissant
les influences orientales, l'art ionien s'infil-
trait en Perse, où il était apporté par des
artistes grecs, comme Téléphanès de Phocée,
qui pendant un certain temps travailla pour
Darius et Xerxès 45 . On sait, d'autre part, que
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VLADISLAV POPOVIĆ
Cyzique entretenait des liens commerciaux
étroits avec la Thrace 46 . Le griffon solaire
se trouve, en Asie Mineure, au service du
Dompteur des animaux, tandis qu'à Cyzique,
colonie milésienne, il se rattache au culte
d'Apollon Hyperboréen et à la légende des
Argonautes 47 .
L'ensemble de ces documents — rhytons
et gobelets d'argent provenant de Thrace,
de Macédoine et de Scythie, amphore d'ar-
gent de Kukuva Mogila, témoigne d'un es-
prit commun, orientalisant, dominant les
ateliers toreutiques du nord ionien. Bien
qu'il fût difficile de trancher la question des
origines, rien ne s'oppose à ce que les arti-
sans ioniens, au contact des Perses, eussent
copié des prototypes iraniens dont les plus
anciens exemplaire remontent à une époque
plus reculée. Tel a été, semble-t-il, le cas
des gobelets du type de Trebenište — Dal-
boki, dont on retrouve des analogies iranien-
nes à Hasanlu Tépé et à Amlash, dès le
IXe—Ville siècle 48 . Les artisans ioniens em-
prunteront aux Perses la forme du gobelet
cylindrique. Une statuette de bronze de Sa-
mos, datant du Vie siècle, représente un
personnage mâle couché, tenant en main un
gobelet de forme analogue 49 .
Avant d'aborder le problème des mas-
ques funéraires de Trebenište, il nous sem-
ble indispensable de faire quelques brèves
remarques sur le problème de la chronolo-
gie. Bien que B. Filov avait déjà démontré
qu'il s'agissait d'importations grecques ar-
chaïques, et que par conséquent on devait
assigner les sépultures à la même époque,
plusieurs archéologues yougoslaves ont né-
anmoins essayé d'abaisser la date de la né-
cropole 50 . Toutefois, ainsi que M. I. Rostov-
cev l'avait justement remarqué, aucun des
objets trouvés dans les tombes princières
ne dépasse le cadre du Vie siècle 51 . Certains
éléments — imitations locales ou objets il-
lyriens, avaient pu s'attarder, dans les tom-
bes moins riches de Trebenište ou à d'autres
endroits, jusqu'à la fin du Ve siècle, sinon
plus bas 52 . C'est ainsi que nous trouvons
dans des nécropoles appartenant au même
cadre culturel, notamment à Mikra-Karabu-
run et à Zeitenlik, près de Salonique, des
vases attiques à figures noires dans l'une,
des vases à figures rouges dans l'autre 53 . Par
conséquent, le seul critère chronologique
valable est la date des objets d'importation.
L'usage des masques funéraires, évo-
quant les coutumes mycéniennes, se situe
donc dans un cadre culturel et chronologi-
que plus ou moins défini. La région de Lych-
nidos était ouverte, dès la seconde moitié
du Vie siècle, au commerce grec parvenant
de plusieurs directions. Si d'une part nous
retrouvons des marchandises corinthiennes,
inoniennes, attiques et peut-être chalcidien-
nes, nous constatons d'autre part des pro-
duits provenant d'ateliers d'orfèvres situés
vraisemblablement dans une ou plusieurs
cités grecques du littoral nord-égéen. Les
masques, gants, sandales et feuilles d'or lami-
né, se rattachent étroitement, du point de vue
de leur style décoratif et de leur apparte-
nance chronologique, à l'inventaire archéo-
logique des tombes princières. Gorgones,
nattes et autres, nous révèlent, ici aussi, les
traditions du style corinthien. Les éléments
décoratifs soi-disant ioniens 54 , ne sont, en
fait, que des preuves tardives des origines
orientalisantes du style proto-corinthien et
corinthien. Tandis que les vases et autres ob-
jets de Trebenište nous renseignent sur les
contacts que la population autochtone en-
tretenait avec les Grecs, les coutumes funé-
raires nous introduisent dans le domaine de
leurs croyances et pensées intimes, étrangè-
res à l'esprit hellénique.
Les analogies mycéniennes, aussi sur-
prenantes qu'elles soient, ne permettent pas
d'expliquer directement l'hiatus insurmon-
table de mille ans qui sépare les masques-
-portraits de Mycènes et de Trebenište. Tan-
dis que C. Schuchardt et N. Vulié penchaient
vers une origine illyrienne des masques
funéraires mycéniens 55 , opinion autant témé-
raire qu'arbitraire, plusieurs savants et tout
particulièrement Ch. Picard 56 , attribuaient
la primauté au monde égéen pré-hellénique.
Selon Ch. Picard, la coutume de recouvrir
partiellement le cadavre par des feuilles
d'or, évoquerait les usages funéraires égyp-
tiens, parvenus d'abord en Crète, pour se ré-
pandre ensuite sur le continent. Les mas-
Zgłoś jeśli naruszono regulamin