ARISTOTE, éthique à Nicomaque Soeur Pascale Nau.doc

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Aristote, Éthique à Nicomaque

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L’ÉTHIQUE DE NICOMAQUE

ARISTOTE

 

Nouvelle traduction pour Internet par sœur Pascale Nau op

 

J'ai utilisé à la fois la version grecque, la traduction Vrin et la traduction de Voilquin Gallimard.

Edition numérique http://docteurangelique.free.fr 2007

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 

 

 

Livre I − Du bien et du bonheur              1

LIVRE II : De la vertu              16

LIVRE III : Du courage et de la tempérance              26

LIVRE IV : Les différentes vertus              42

LIVRE V : De la justice              57

LIVRE VI : Des vertus intellectuelles              73

LIVRE VII : De la tempérance et du plaisir              84

LIVRE VIII : De l’amitié              101

LIVRE IX : De l’amitié (cont.)              116

LIVRE X : Du plaisir, de la vie contemplative et du bonheur              130

Livre IDu bien et du bonheur

 

Chapitre 1

[1094a] Tout art et toute investigation comme toute action et tout choix tendent vers quelque bien, à ce qu’il semble. Aussi a-t-on affirmé avec raison que le Bien est ce à quoi toutes choses tendent. Mais, en réalité, on observe une certaine différence entre les fins : les unes consistent en des activités, et les autres en certaines œuvres, distinctes des activités elles-mêmes. Dans les cas où existent certaines fins distinctes des actions, les œuvres sont par nature supérieures aux activités qui les produisent.

Or, comme il y a multiplicité d’actions, d’arts et de sciences, leurs fins aussi sont multiples : ainsi, l’art médical a pour fin la santé, l’art de construire des vaisseaux le navire, l’art stratégique la victoire, et l’art économique la richesse. Mais dans tous les arts de ce genre qui relèvent d’une unique potentialité (de même, en effet, que sous l’art hippique tombent l’art de fabriquer des freins et tous les autres métiers concernant le harnachement des chevaux, et que l’art hippique lui-même et toute action se rapportant à la guerre tombent à leur tour sous l’art stratégique, c’est de la même façon que d’autres arts sont subordonnés à d’autres), dans tous ces cas, disons-nous, les fins des arts architectoniques doivent être préférées à toutes celles des arts subordonnés, puisque c’est en vue des premières fins qu’on poursuit les autres. Peu importe, du reste, que les activités elles-mêmes soient les fins des actions ou que, à part de ces activités, il y ait quelque autre chose comme dans le cas des sciences dont nous avons parlé.

Par conséquent, s’il y a, de nos activités, quelque fin que nous souhaitons par elle-même, et les autres seulement à cause d’elle, et si nous ne choisissons pas indéfiniment une chose en vue d’une autre (car on procéderait ainsi à l’infini, de sorte que le désir serait futile et vain), il est clair que cette fin-là ne saurait être que le bien, le Bien Suprême. En conséquence, n’est-il pas vrai que, pour la conduite de la vie, la connaissance de ce bien est d’un grand poids et que, comme des archers qui ont une cible sous les yeux, nous pourrons plus facilement atteindre le but qui convient ? S’il en est ainsi, nous devons essayer d’embrasser, tout au moins dans ses grandes lignes, la nature du Bien Suprême, et de dire de quelle science particulière ou de quelle potentialité il relève. On sera d’avis qu’il dépend de la science suprême et architectonique par excellence. Or, une telle science est manifestement la politique car c’est elle qui détermine quelles sont parmi les sciences celles qui sont nécessaires dans les cités, et quelles sortes de sciences chaque classe de citoyens doit apprendre et [1094b] jusqu’à quel point son étude sera poussée ; et nous voyons encore que même les potentialités les plus appréciées sont subordonnées à la politique par exemple la stratégie, l’économique, la rhétorique. Et puisque la politique se sert des autres sciences pratiques et qu’en outre elle légifère sur ce qu’il faut faire et sur ce dont il faut s’abstenir, la fin de cette science englobera les fins des autres sciences ; d’où il résulte que la fin de la politique sera le bien proprement humain Même si, en effet, il y a identité entre le bien de l’individu et celui de la cité, de toute façon c’est une tâche manifestement plus importante et plus parfaite d’appréhender et de sauvegarder le bien de la cité : car le bien est assurément aimable même pour un individu isolé, mais il est plus beau et plus divin appliqué à une nation ou à des cités. Voilà donc les buts de notre enquête, qui constitue une forme de politique.

Nous aurons suffisamment rempli notre tâche si nous donnons les éclaircissements que comporte la nature du sujet que nous traitons. C’est qu’en effet on ne doit pas chercher la même rigueur dans toutes les discussions indifféremment, pas plus qu’on ne l’exige dans les productions de l’art. Les choses belles et les choses justes qui sont l’objet de la politique, donnent lieu à de telles divergences et à de telles incertitudes qu’on a pu croire qu’elles existaient seulement par convention et non par nature. Une telle incertitude se présente aussi dans le cas des biens de la vie, en raison des dommages qui en découlent souvent : de fait, on a vu des gens périr par leur richesse, et d’autres périr par leur courage. On doit donc se contenter, en traitant de tels sujets et partant de tels principes, de montrer la vérité d’une façon grossière et approchée, et quand on parle de choses simplement constantes et qu’on part de principes également constants, on ne peut aboutir qu’à des conclusions de même genre. C’est donc dans le même esprit que devront être accueillies les diverses vues que nous émettons. Car il convient à un homme cultivé de ne chercher la rigueur pour chaque genre de choses que dans la mesure où la nature du sujet l’admet : il est évidemment à peu près aussi absurde d’accepter d’un mathématicien des raisonnements probables que d’exiger d’un rhéteur des démonstrations proprement dites.

D’autre part, chacun juge correctement de ce qu’il connaît ; [1095a] et en ce domaine il est bon juge. Conséquemment, dans un domaine déterminé, celui juge bien qui a reçu une éducation appropriée, tandis que, dans une matière excluant toute spécialisation, le bon juge est celui qui a reçu une culture générale. Aussi, le jeune homme n’est pas un auditeur bien propre à des leçons de politique, car il n’a aucune expérience des choses de la vie, qui sont pourtant le point de départ et l’objet des raisonnements de cette science. De plus, étant enclin à suivre ses passions, il ne retirera de cette étude rien d’utile ni de profitable, puisque la politique a pour fin non pas la connaissance mais l’action. Peu importe, du reste, qu’on soit jeune par l’âge ou jeune par le caractère ; l’insuffisance à cet égard n’est pas une question de temps, mais elle est due au fait qu’on vit au gré de ses passions et qu’on s’élance à la poursuite de tout ce qu’on voit. Pour des écervelés de cette sorte, la connaissance ne sert à rien, pas plus que pour les intempérants ; au contraire, pour ceux dont les désirs et les actes sont conformes à la raison, le savoir en ces matières sera pour eux d’un grand profit.

Chapitre 2

En ce qui regarde l’auditeur ainsi que la manière dont notre enseignement doit être reçu et l’objet que nous nous proposons de traiter, toutes ces propos doivent constituer une introduction suffisante.

Maintenant, reprenons la question. Puisque toute connaissance, tout choix délibéré aspire à quelque bien, voyons quel est, selon nous, le bien que vise la politique, autrement dit quel est de tous les biens réalisables celui qui est le Bien suprême. Sur son nom, en tout cas, la plupart des hommes sont pratiquement d’accord : c’est le bonheur au dire des gens du peuple aussi bien que des gens cultivés. Tous assimilent le fait de bien vivre et de réussir au fait d’être heureux. Par contre, en ce qui concerne la nature du bonheur, on ne s’entend plus, et les réponses de la foule ne ressemblent pas à celles des sages. Les uns, en effet, identifient le bonheur à quelque chose d’apparent et de visible, comme le plaisir, la richesse ou l’honneur. Pour les uns, c’est une chose, et pour les autres une autre chose. Souvent le même homme change d’avis à son sujet : malade, il place le bonheur dans la santé, et pauvre, dans la richesse. A d’autres moments, quand on a conscience de sa propre ignorance, on admire ceux qui tiennent des discours élevés et hors de notre portée. Certains, enfin, pensent qu’en dehors de tous ces biens multiples il y a un autre bien qui existe par soi et qui est pour tous ces biens-là cause de leur bonté. Passer en revue la totalité de ces opinions est sans doute assez vain ; il suffit de s’arrêter à celles qui sont le plus répandues ou qui paraissent avoir quelque fondement rationnel.

N’oublions pas la différence qu’il y a entre les raisonnements qui partent des principes et ceux qui remontent aux principes. En effet, c’est à juste titre que Platon se posait la question, et qu’il recherchait si la marche à suivre est de partir des principes ou de remonter aux principes, [1095b] tout comme dans le stade les coureurs vont des athlothètes à la borne, ou inversement. Il faut, en effet, partir des choses connues ; et une chose est dite connue en deux sens, soit pour nous, soit d’une manière absolue. Sans doute devons-nous partir des choses qui sont connues pour nous. Voilà pourquoi il faut avoir été élevé dans des mœurs honnêtes, quand on se dispose à écouter avec profit un enseignement portant sur l’honnête, le juste et, d’une façon générale, sur tout ce qui a trait à la politique (car ici le point de départ est le fait, et si le fait était suffisamment clair, nous serions dispensés de connaître en sus le pourquoi) Or, l’auditeur tel que nous le caractérisons, ou bien est déjà en possession des principes, ou bien est capable de les recevoir facilement. Quant à celui qui ne les possède d’aucune de ces deux façons, qu’on le renvoie aux paroles d’Hésiode :

 

Celui-là est absolument parfait qui de lui-même réfléchit sur toutes choses.

Est sensé encore celui qui se rend aux bons conseils qu’on lui donne.

Quant à celui qui ne sait ni réfléchir par lui-même, ni, en écoulant les leçons d’autrui,

Les accueillir dans son cœur, celui-là en revanche est un homme bon à tien.

 

Chapitre 3

Nous revenons au point d’où nous nous sommes écartés. Les hommes il ne faut pas s’en étonner paraissent concevoir le bien et le bonheur d’après la vie qu’ils mènent. La foule et les gens les plus grossiers disent que c’est le plaisir. Voilà pourquoi ils ont une préférence pour la vie de jouissance. En fait, il y a trois principaux types : celle dont nous venons de parler, la vie politique et, en troisième lieu, la vie contemplative. La foule se montre véritablement d’une bassesse d’esclave en choisissant pour une vie bestiale, mais elle trouve son excuse dans le fait que beaucoup de ceux qui appartiennent à la classe dirigeante ont les mêmes goûts qu’un Sardanapale. Les gens cultivés et ceux qui aiment la vie active préfèrent l’honneur qui est, à tout prendre, la fin de la vie politique. Mais l’honneur apparaît comme une chose trop superficielle pour être l’objet cherché, car, de l’avis général, il dépend plutôt de ceux qui honorent que de celui qui est honoré. Or, nous savons d’instinct que le bien est quelque chose de personnel à chacun et qu’on peut difficilement nous ravir. Il semble bien d’ailleurs que l’on poursuit l’honneur en vue seulement de se persuader de son propre mérite. En tout cas, on cherche à être honoré par les hommes sensés et auprès de ceux dont on est connu, et on veut l’être pour son excellence. Dans ces conditions, c’est clair que, tout au moins aux yeux de ceux qui agissent de cette façon, la vertu l’emporte sur l’honneur. Peut-être pourrait-on aussi supposer que c’est la vertu plutôt que l’honneur qui est la fin de la vie politique. Mais la vertu apparaît bien, elle aussi, insuffisante ;...

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